Doit-on se réjouir des annonces triomphantes des dirigeants européens qui, les traits tirés par leurs négociations nocturnes, nous annoncent, tels des chirurgiens ayant miraculeusement sauvé un mourant après des heures d’opération, que « l’Europe est sauvée » et que « le risque de contagion est circonscrit » ?
N’avons-nous pas déjà entendu les mêmes messages rassurants à l’issue des 10 précédents sommets censés sauver la planète, le monde moderne, et notre galaxie toute entière ?
Derrière les postures et les effets d’annonce, constatons simplement que de nouveaux milliards d’euros vont encore être injectés dans le tonneau des danaïdes des dettes souveraines, qu’aucune solution structurelle durable n’est proposée (à part effacer une partie l’ardoise Grecque), et que le nouveau prêt va intégralement servir au remboursement des emprunts Grecs.
Le Fonds européen de stabilité financière (FESF), va voir sa capacité de 440 milliards d’euros encore renforcée, et aucune rupture avec la logique qui est à l’origine même de cette crise n’est évoquée. Pourquoi ?
Tout d'abord, parce qu'il est souvent difficile de régler un problème de l'intérieur en faisant appel à ceux qui l'ont créé Ensuite, parce qu'il en faudrait du courage politique pour reconnaître que les vieilles recettes ne fonctionnent plus, qu'emprunter pour rembourser nous conduit dans une impasse alors que la croissance est nulle. Mais le mouvement général de ces dernières décennies tend irrémédiablement vers plus de globalisation et "d'irresponsabilité organisée" (pour reprendre l'expression du sociologue Ulrich Beck), au détriment d’individus piégés dans des organisations qui les dépassent complètement.
Finalement, peut-être que nos dirigeants sont animés de bonnes intentions, peut-être pensent-ils vraiment que cette crise pourra être réglée par le haut, de manière incantatoire, au nom de ceux qui leur ont aveuglément délégué leur citoyenneté en espérant l'avènement d'un messie providentiel.
Mais peut-être savent-ils aussi au fond d’eux-mêmes que la situation est grave si le pouls de l'économie reste faible, qu’il faut continuer à donner le change et ne pas scier, tant qu’elle tient encore, la branche sur laquelle ils sont tous assis, comme l’étaient avant-eux ceux qui les ont coopté pour que les dispositifs et le dogme de la croissance sans fin perdurent.
Depuis des mois on nous parle de systèmes, de mécanismes et d’organisations à sauver. Des technocrates, issus de ces mêmes agencements supra nationaux, nous expliquent doctement, comme à des enfants dont le jouet est cassé, qu’il est réparable et qu’il faut garder espoir…
Les individus en bout de chaîne ont totalement disparu des considérations. Qui parle de la détresse de ceux qui n’ont plus rien et cherchent des solutions ? De ceux qui tentent de nourrir leur famille et de se loger dignement ?
La réalité dans les bassins d’emplois ravagés, dans les zones péri-urbaines où le chômage officiel culmine à plus de 20% et dans certaines zones rurales est tout autre : le modèle ne parvient plus à donner durablement des places à tout le monde, et la croissance artificielle obtenue grâce au crédit pas cher durant les dernières décennies est révolue.
Après les 30 glorieuses, les Etats-unis sont parvenus à maintenir une croissance factice grâce à la surexploitation des crédits privés, conduisant à la crise des subprimes de 2008 et ses conséquences sociales... (Je vous conseille à ce propos l'excellent film: "The big short: le casse du siècle", c'est édifiant !). En Europe, ce sont les gouvernements qui ont compensé le déclin par une augmentation des dépenses publiques conduisant aux mêmes excès... Dettes privées ou dettes publiques, dans les deux cas, il faut payer.
Après les 30 glorieuses, les Etats-unis sont parvenus à maintenir une croissance factice grâce à la surexploitation des crédits privés, conduisant à la crise des subprimes de 2008 et ses conséquences sociales... (Je vous conseille à ce propos l'excellent film: "The big short: le casse du siècle", c'est édifiant !). En Europe, ce sont les gouvernements qui ont compensé le déclin par une augmentation des dépenses publiques conduisant aux mêmes excès... Dettes privées ou dettes publiques, dans les deux cas, il faut payer.
Malgré les bricolages financiers et les rafistolages technico-politiques d’urgence, le modèle basé sur le paradigme d'un développement perpétuel et sur une croissance économique constante a atteint son apogée, et entame une descente rapide, ne contredisant pas en ce sens les lois fondamentales de la nature et les constantes universelles.
Face à cette fin organique annoncée, le casting politique est assez riche, chacun y allant de sa solution, mais toujours sur un même schéma mental consistant à expliquer qu’un leader providentiel ou qu’un parti alternatif détient le secret de la croissance, et qu’une gestion centralisée, étatique et globale de la problématique produira des effets positifs au terme de « gros efforts » que certains n’imposeraient même pas à leur chien.
Peut-être devrions-nous sérieusement envisager la possibilité qu’il n’y ait pas (ou plus) de solution globale, plus de croissance (même artificielle), et pas de messie ou d’hyper dirigeant omniscient capable de stopper seul cette fin de civilisation ?
Mais ne rêvons pas : tant qu’il y aura de brillants orateurs pour expliquer qu’ils ont la réponse, ou qu’ils sont capables de la trouver, il y aura toujours des foules béates emplies d’espérance pour les écouter et voter pour eux, avant de les destituer aux élections suivantes.
Alors, difficile de prévoir quand tout ceci cessera de fonctionner, mais constatons simplement qu’un modèle assis sur un impératif de consommation et de croissance risque de s’asphyxier si plus personne n’est capable de consommer, faute de travail et de crédit.
Les dirigeants des pays industrialisés l'ont bien compris et tentent désespérément de fournir des emplois, même subventionnés sur le budget de l'état déjà dans le rouge, pour que les électeurs puissent continuer à consommer avec de l’argent qu’ils n’ont pas, des biens qu’ils ne produisent plus depuis longtemps. En tant que fournisseurs concernés au premier chef, les Chinois seraient même prêts à nous aider dans cette voie...
Les dirigeants des pays industrialisés l'ont bien compris et tentent désespérément de fournir des emplois, même subventionnés sur le budget de l'état déjà dans le rouge, pour que les électeurs puissent continuer à consommer avec de l’argent qu’ils n’ont pas, des biens qu’ils ne produisent plus depuis longtemps. En tant que fournisseurs concernés au premier chef, les Chinois seraient même prêts à nous aider dans cette voie...
Un beau projet de société en somme, où des masses endoctrinées, bombardées de publicités, pourront continuer à se ruer sur du rêve en boîte. Mais ne nous égarons pas, il s'agit d'un autre sujet qui fera l'objet d'un billet spécifique.
Pour l'heure, c'est le même constat un peu partout dans le monde industriel occidental : les emplois disparaissent, la consommation baisse et les crédits sont à l’arrêt, contraignant le consommateur à ne plus consommer, et l’emprunteur à ne plus rembourser. Injecter du cash dans la machine ou effacer les dettes retardera sans doute l’échéance, mais ne réglera pas fondamentalement cette crise systémique qui s’avère surtout être une crise de sens, d'imagination et de trajectoire.
Des millions de personnes ont déjà été expurgées sans ménagement de la matrice qui les a allégé du peu d’épargne qu’elles avaient encore. Elles se retrouvent hagardes à errer dans les décombres des cités radieuses et dans les bidonvilles qui fleurissent désormais en périphérie des grandes capitales occidentales.
"Révolution!" crieront certains indignés au bord du vide, "Evolution!" proposeront d'autres modérés moins proches du gouffre. Mais les uns ne sont pas assez nombreux, et les autres trop consensuels pour parvenir à enclencher quoi que ce soit de "disruptif"... Mais peut-être qu'il n'y aura pas besoin de révolution pour renouveler le modèle finalement: il pourrait s’effondrer tout seul sur lui-même faute de carburant, rongé dans sa logique consumériste et gavé de certitudes ostentatoires.
"Révolution!" crieront certains indignés au bord du vide, "Evolution!" proposeront d'autres modérés moins proches du gouffre. Mais les uns ne sont pas assez nombreux, et les autres trop consensuels pour parvenir à enclencher quoi que ce soit de "disruptif"... Mais peut-être qu'il n'y aura pas besoin de révolution pour renouveler le modèle finalement: il pourrait s’effondrer tout seul sur lui-même faute de carburant, rongé dans sa logique consumériste et gavé de certitudes ostentatoires.
Quelque part, chaque crise recèle des opportunités : ceux qui affirmaient avoir une solution finiront par ne plus être entendus, noyés dans les grondements des peuples, et ceux qui pensaient que d’autres, plus intelligents et éduqués qu’eux, allaient leur trouver une issue miraculeuse sans rien changer à leurs comportements, finiront par découvrir que ce sont eux qui détiennent une partie de la réponse.
Et parce qu’ils n’auront plus le choix, certains dé-consommeront et fuiront les villes comme c’est déjà le cas en Grèce et en Italie où cette révolution par défaut est déjà en marche, d’autres seront obligés de mettre en œuvre des solutions de proximité pour se nourrir et se loger, tout simplement.
Alors, peut-être que des centaines, des milliers, puis des millions de réponses et d'initiatives portées par des individus, ou des groupes d’individus, coupés du politique, contraints par l’absence d’option et par la nécessité de subvenir à leurs besoins élémentaires, finiront par s’agréger et se coordonner afin de spontanément refonder un nouveau sens, et tracer de nouvelles perspectives.
Ce sera peut-être la fin du monde tel que nous l’avons connu, mais ce ne sera pas la fin du monde pour autant…