Les échanges animés entre pros et anti-éoliens révèlent une certaine difficulté à changer d’échelle de raisonnement dans un monde où la production, les infrastructures et la distribution d’énergie ont toujours été conçus globalement et de manière industrielle. Mais les solutions énergétiques de demain doivent-elles forcément rimer avec "gigantisme", et s’inscrire dans cette même logique centralisatrice qui a prévalu dans les années 50 ?
Depuis l’après-guerre des programmes énergétiques massifs ont impliqué des chantiers et des investissements colossaux, afin d’atteindre le modèle actuel capable de délivrer en tout point du territoire des quantités croissantes d’électricité.
Depuis quelques décennies, les progrès technologiques et la nécessité de trouver d’autres sources d’énergie, ont aussi permis de dégager un certain nombre d’opportunités regroupées sous l’appellation d’
énergies renouvelables au rang desquelles nous trouvons : l’énergie solaire, l’énergie
éolienne, l’énergie des vagues (ou
houlomotrice), l’
hydroélectricité, l’énergie géothermique, l’énergie issue de la
biomasse, peut-être celle des
piles à combustible ou encore de l’énergie marémotrice.
Ces nouvelles sources d’énergie seront nécessaires pour faire face à l’explosion de notre demande, car d’ici à 2035, si rien ne change, la demande en électricité devrait doubler (Source
Agence Internationale de l’énergie AIE).
D’ici à 2035, si rien ne change, un peu plus de 6 000 milliards de dollars devront être investis dans le monde dans les réseaux de distribution, et environ 5 000 milliards dans la production d’électricité afin d’éviter des ruptures qui pourraient être catastrophiques.
Les principales coupures de courant de ces dernières années, et plus récemment les
pannes électriques monstres survenues en Inde, privant plus de 700 millions de personnes d’électricité durant des heures, sont assez symptomatiques de la surcharge non seulement des moyens de production, mais aussi des infrastructures de distribution qui ne parviennent plus à suivre l’explosion de la consommation.
Imaginez un seul instant, une bonne partie d’un
pays de plus d’un milliard de personnes, suspendu dans son élan avec des mineurs bloqués au fond des mines, des personnes dans les ascenseurs, des centrales nucléaires que l’ont doit arrêter dans l’urgence, des trains bloqués en gare ou en rase campagne, des avions qui ne décollent plus, des embouteillages monstres, des climatisations en panne, l’eau qui ne monte plus en haut des tours, des call-center et des usines informatiques à l’arrêt, des approvisionnements qui n’arrivent pas à destination, des vivres qui se perdent… Un scénario catastrophe à peine concevable, et pourtant bien réel, conséquence d'une seule « petite » journée de black-out…
Et partout dans le monde, le même constat s’impose aux géants aux pieds d’argile : la demande en énergie continue d’exploser, et l
es trois scénarios prospectifs de l’AIE ne sont guère optimistes quant à un éventuel infléchissement de la consommation énergétique dans le futur.
Rappelons simplement qu’aujourd’hui les principaux moyens de produire de l’électricité dans le monde, sauf en France où nous avons fait d’autres choix (avec d’autres conséquences), sont le charbon et le pétrole, dont tout le monde sait qu’ils ne sont pas inépuisables et rejettent du Co2…
Dans ce contexte, les énergies dîtes « renouvelables » apparaissent comme une alternative pour réduire les émissions des gaz à effet de serre, même si l’AIE intègre dans le « renouvelable » les biocarburants et le nucléaire… Ce qui fait débat, on s’en douterait.
De manière plus générale (et pour tenter de changer d’échelle et de perspective justement...), nous pourrions facilement superposer les courbes de consommation d’énergie, avec celle de l’endettement des pays ou des ménages, celle du nombre de suicides, du chômage,
des défaillances d'entreprises, des cancers, des tonnes de déchets produits par une famille, et des nombreuses autres conséquences de nos choix de vie...
A bien y regarder (toujours de loin…), notre monde ne semble plus aller que dans un sens : celui de l’accélération exponentielle et celui de l’accroissement vertigineux des courbes vers un but connu d’elles seules. Nous sommes apparemment condamnés à vivre dans toujours plus de complexité, de pollution et de vitesse. Ce sont les principaux tribus à payer pour notre confort, et pour ce qu’il nous reste d’abondance, de progrès et de facilité.
Un état de grâce dont nous avons bénéficié durant plus d’un siècle, et dont les pays émergents, devenus à leur tour les plus grands pollueurs de la planète, veulent aussi profiter. Au nom de quoi pourrions-nous les en empêcher, alors que nous utilisons tous jours les gadgets qu’ils fabriquent à bas coût, sans nous soucier des conséquences à moyen et long terme ?
Entrainés dans cette spirale infernale nous ne voulons, ou ne pouvons plus changer notre mode de vie qui offre encore quelques avantages auxquels nous nous accrochons. Alors nous préférons nous interroger sans fin sur les possibilités de maintenir cette gabegie, coûte que coûte, en utilisant les technologies qui se présentent ; plutôt qu’en nous demandant comment elles pourraient progressivement contribuer à réformer nos fonctionnements, et éviter le mur qui se dresse en face de nous…
L’éolien est assez emblématique de ce débat abscond, de cette incapacité à modifier les schémas et les conditionnements, tout en continuant à emprunter sans fin les mêmes chemins, la même dialectique, les mêmes arguments au service de visions souvent doctrinaires et passéistes.
Il y a de nombreux thèmes intéressants autour de l’éolien, mais celui qui pourrait illustrer plus précisément mon propos, concerne la capacité de production d’une éolienne :
Il faut savoir qu’une éolienne moderne peut désormais produire jusqu’à 6 MW/heure (Méga Watt). Ça c’est la théorie lorsque l’éolienne est à pleine charge, 24h/24h, avec un vent idéal toute l’année. Ce n’est évidemment jamais le cas, ce qui fait que les experts s’accordent à dire (après moultes palabres) que dans la pratique une éolienne a une charge annuelle de 20 à 25%, voire 30%, et produit entre 2 et 4 MW/heure.
Que m’on me pardonne mon imprécision, mais l’objet n’est vraiment pas de rentrer dans un débat de chiffres et de virgules avec des experts très compétents, à qui je laisse cet aspect si ça les amuse… Il faut simplement retenir que la technologie va en s’améliorant, que l’on parle de solutions à 10 MW pour le futur, ce qui ne paraît pas totalement délirant, vu que les premières éoliennes tournaient péniblement à 2 MW…
Les anti-éoliens démontrent ainsi très facilement qu’il faudrait des milliers d’éoliennes pour alimenter nos mégalopoles et que, à périmètre constant, cette solution miracle perd de son efficacité.
Effectivement, si nous conservons les mêmes lieux de vie, les mêmes concentrations urbaines, les mêmes niveaux de consommation, l’éolien représente une goutte d’eau dans l’océan en expansion de nos besoins. On parle de projets à plus de 15000 éoliennes géantes, importées à grands frais, défigurant les paysages, pour produire de manière aléatoire quelques Mégawatts supplémentaires...
Mais c’est un peu comme si nous trouvions logique de reprocher à une Twingo de ne pas afficher les mêmes performances qu’une Formule 1… On perçoit bien que le débat est complètement faussé si le schéma consiste à se demander s'il serait possible de continuer à vivre dans notre confort, sans rien changer, en produisant autant d’électricité avec des éoliennes qu’avec des centrales…
Ce n’est pas envisageable, et ce n’est vraiment pas leur usage ni leur périmètre d'utilisation (me semble t-il).
C’est l’endroit où je décroche dans le débat sur l’éolien : je ne comprends pas pourquoi "personne" ne propose de progressivement alimenter des hameaux, des villages ou des bourgs, avec une ou plusieurs éoliennes ? L'éolien, couplé à d'autres sources d'énergie comme la méthanisation par exemple, peut progressivement apporter des solutions.
Une poignée de collectivités locales développent de tels projets mixant plusieurs sources avec comme objectifs l'autonomie énergétique et la création d'emplois comme à
Montdidier, où 53% de l'électricité consommée provient des éoliennes municipales (2 800 clients particuliers, 300 clients professionnels et 6 400 habitants desservis).
Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce qui s’oppose (techniquement, légalement, financièrement…) à ce qu’une (ou plusieurs) éolienne(s) alimente(nt) directement 1000, 2000 ou 3000 habitants en complément d’autres sources (puisque l’éolien produit de manière intermittente) ?
L’objet de cette démarche ne consiste pas à vouloir absolument apporter une solution globale, immédiate et centralisée à la production et à la distribution d’énergie, mais simplement de commencer à répondre localement, et de manière pragmatique, à des besoins qui peuvent désormais être couverts par de l’éolien puisque de nouvelles technologies existent et permettent un mix avec d’autres énergies.
Dans ce contexte, l’éolien pourrait être une des pièces du puzzle, sans être la panacée... mais il pourrait contribuer à amorcer un mouvement de réorganisation énergétique avec une vraie volonté politique pour favoriser des initiatives locales plutôt que la concentration.
Ainsi, plutôt que de maintenir une infrastructure énergétique centralisée autour de pôles nucléaires au centre d’un maillage de lignes haute tension, peut-être pourrions-nous progressivement développer une infrastructure décentralisée d’éoliennes desservant des lieux visant à l’autonomie énergétique ? Une sorte d’architecture distribuée proche du modèle internet, mais appliquée à l’énergie… L'autre avantage non négligeable de cette approche, c'est qu'en multipliant les lieux de production d'énergie, des emplois seront créés afin d'entretenir les infrastructures locales.
J’avoue humblement mon ignorance technique sur ce sujet qui me passionne en tant que citoyen, mais j’imagine bien une géographie progressivement redessinée dans laquelle des villages pourraient acquérir une certaine autonomie énergétique se couplant à une agriculture de proximité, et à des réductions dans notre manière de consommer. Additionnées les unes aux autres, les conséquences de ces initiatives sur nos émissions devraient être significatives et produire d'autres bénéfices au niveau des individus et surtout de leur qualité de vie.
Mais pour l’instant, force est de constater que dans notre monde global, industriel et concentré, il faut encore la puissance cumulé du thermique et du nucléaire pour alimenter « la bête » à satiété. Notre politique énergétique actuelle n’est que la
conséquence de nos modes de vie. On ne pourra pas réformer l’un sans changer l’autre : ainsi on ne peut pas prétendre améliorer les choses avec l'éolien si la démarche ne se couple pas avec un changement de mode de vie (et de consommation).
Au delà de cette approche, ce sont deux mondes qui s'affrontent: celui qui prétend que les solutions doivent être globales et centralisées depuis des bureaux quelque part à Bruxelles, et celui qui pense que les technologies peuvent désormais servir à développer des solutions locales à taille humaine et faible empreinte écologique. Cela n'exclut pas la concertation et la coordination au niveau européen ou national, mais permet surtout aux individus de se réapproprier des débats qu'ils ont abandonné depuis longtemps. Les énergies alternatives apparaissent comme un levier de transformation intéressant susceptible de nous éviter un black-out civisationnel.